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Djaoui Cissé, et la lumière fut

Par Clément Gavard
10 minutes

Il était encore un habitué des terrains de N3 cet hiver, mais tout s’est accéléré pour Djaoui Cissé ces derniers mois. Lancé au Stade rennais par Habib Beye, le milieu de terrain de 21 ans a épaté son monde en Bretagne, comme à l’Euro Espoirs en ce moment avec les Bleuets. Un modèle de progression tranquille pour ce grand timide.

Djaoui Cissé, et la lumière fut

Il peut s’en passer, des choses, dans la tête d’un gamin de 21 ans qui ne s’attendait pas à basculer dans un autre monde en aussi peu de temps. Au moment de souhaiter la bonne année à ses proches le 1er janvier dernier, Djaoui Cissé ne pensait sans doute pas finir la saison comme un titulaire indiscutable au Stade rennais et passer son mois de juin en Slovaquie, à l’Euro avec l’équipe de France espoirs. Un peu comme son petit frère, Wenday Cissé découvre les effets de la notoriété, les sollicitations et tout ce qui peut aller avec. « Il faudra qu’on s’habitue avec le temps », écrit-il avant d’accepter de parler de son frangin qui brille avec les Bleuets (3 buts sur les 2 derniers matchs contre la Pologne et le Danemark), lui qui n’avait jamais connu les sélections de jeunes avant ce mois-ci.

« On sait qu’il peut être encore plus fort, prévient Wenday au bout du fil. On est contents de ce qui se passe pour lui, c’est le début de quelque chose. Mais on essaie de rester normal. On ne le voyait pas forcément arriver aussi soudainement. Quand Beye le fait débuter contre Strasbourg, il m’a envoyé un message, il était à la fois surpris et heureux. Ça a été naturel entre eux, ce n’est pas forcé. Djaoui peut être compliqué à cerner, mais il a réussi à comprendre le joueur. » L’hiver dernier, 48 heures à peine après son arrivée, Habib Beye a bénéficié d’un concours de circonstances (le forfait d’Azor Matusiwa) pour faire ce que ses prédécesseurs n’avaient pas osé : lancer Djaoui Cissé comme titulaire, en Ligue 1, à l’occasion de la réception de Strasbourg (victoire de Rennes 1-0).

Cinq mois plus tard, celui qui avait collectionné quelques rares petites apparitions avec les grands s’est fait un nom chez les Rouge et Noir, débutant 15 des 16 matchs disputés sous Beye et manquant seulement la réception du PSG à cause d’une suspension. « Il était deg de rater ce match », sourit Wenday. Aujourd’hui, le frangin le voit faire le bonheur des amateurs de compilations sur les réseaux et récolter les louanges de ses entraîneurs, de Beye à Gérald Baticle, lui aussi tombé sous le charme du milieu de terrain qui avait été appelé en renfort pour l’Euro à la suite du forfait d’Enzo Millot. Un heureux concours de circonstances, encore un. Accompagné de ce paradoxe : tout est allé à la fois très vite et très lentement, pour Djaoui Cissé.

Crevette, ampoules et Coutinho

Il n’est pas question de se raconter d’histoires : celui qui a vu passer Eduardo Camavinga ou Désiré Doué du centre de formation de Rennes à l’équipe première n’a rien de la précocité de ces deux talents qui ont déjà la Ligue des champions à leur palmarès (même deux pour le Madrilène). Quand Pierre-Emmanuel Bourdeau, aujourd’hui adjoint au Red Star, découvre le bonhomme au tournoi de Montaigu, alors qu’il a déjà signé un accord de non-sollicitation avec le Stade rennais, il voit « un joueur avec un retard physiologique extrêmement important. Il était petit, très fluet. Il y avait des qualités techniques indéniables, mais un manque cruel de support athlétique, sachant qu’il était face à des garçons de la catégorie d’âge du dessus. »

Il est parti à Rennes et 3-4 mois plus tard, il est revenu et c’était un autre mec.

Wenday, l’un des grands frères de Djaoui Cissé

Quand il passe de Grigny à Rennes à 15 piges, il faut imaginer Cissé comme une crevette, un adolescent qui n’a pas encore connu sa vraie croissance. « On est tous assez grands dans la famille, mais lui, c’est arrivé en mode surprise. Il est parti à Rennes et 3-4 mois plus tard, il est revenu et c’était un autre mec, se marre son frère Wenday. L’alimentation, ça a dû jouer énormément !  » Ce n’est plus le petit frère de cette fratrie de six (quatre garçons, deux filles), « le chouchou, maman dit oui à tout », ni le jeune ado qui jouait en bas de la Grande Borne, la cité où il a grandi à Grigny. « On avait un jeu qui s’appelait le banc, un terrain avec quatre bancs, il fallait marquer en dessous, rembobine Wenday. Il fallait être technique et il n’y avait pas de limites sur le terrain, tu pouvais courir à 100 mètres. Il fallait être patient, avoir de l’endurance, je pense que ça l’a forgé. »

Djaoui Cissé le 10 avril 2022 lors d’un Caen-Rennes en Gambardella
Djaoui Cissé le 10 avril 2022 lors d’un Caen-Rennes en Gambardella

Comme tous les gamins de leur âge, les frères Cissé ont « cassé beaucoup d’ampoules  » en jouant au foot dans l’appart familial, tout en acceptant les engueulades d’un papa maçon pas vraiment branché foot. « Je ne sais même pas s’il est conscient de ce qui se passe, il vit tranquille », s’amuse le fiston. Les matchs à la télé ? « On n’avait pas la chaîne, rigole Wenday, qui précise qu’ils n’ont manqué de rien et qu’ils vivaient bien. On était sur TF1 quand il y avait la Coupe du monde. On regardait H24 des vidéos sur internet pour essayer de reproduire les dribbles dehors. Djaoui aimait bien regarder Cristiano Ronaldo et il a aussi eu sa période Coutinho, époque Liverpool. » La maman, les grandes sœurs et les frérots l’accompagnent au foot, « sans l’idée que ça allait nous rapporter quelque chose plus tard, c’était juste du kif. » Wenday fouille encore une fois dans ses souvenirs : « Il devait avoir 11 ans, on était parti sur un terrain, j’avais acheté cinq ballons pour entraîner son pied gauche pour qu’il s’améliore. Quand je vois ses frappes du gauche aujourd’hui, je me dis : “Ah ouais, quand même…”  »

Les paradoxes d’un grand timide

Le foot de rue forge la technique, mais au centre de formation, Cissé découvre l’exigence et les autres qualités demandées pour passer les différentes étapes. « Il n’avait pas le coffre ni le volume au départ. Il a fallu l’amener à ces efforts, ça a été un long processus parce que ce n’était pas inné chez lui. Il a un profil vraiment atypique, dans sa manière de courir, se déplacer. Ça peut faire penser à Javier Pastore dans le style, ce sont des joueurs très créatifs, forts techniquement, mais pas des monstres sur le plan athlétique, expose Pierre-Emmanuel Bourdeau, qui l’a coaché jusqu’à l’équipe réserve. On savait que c’était un profil à maturité extrêmement tardive, il fallait juste lui laisser du temps. Ce n’était pas une évidence qu’il aille chez les pros. On savait qu’il vivrait probablement du foot, mais il y avait un vrai questionnement. »

À côté de sa timidité, il est capable d’avoir de vraies discussions ou des réflexions très pertinentes sur le jeu, il a une vraie intelligence là-dessus, quelque chose d’inné.

Pierre-Emmanuel Bourdeau, l’un de ses formateurs à Rennes

Il y a le travail sur le joueur, utilisé un temps comme défenseur central pour son évolution, une méthode classique avec les jeunes au Stade rennais, et celui sur l’homme à la personnalité très particulière. «  Au premier abord, tu n’as pas forcément envie d’aller vers lui, il est dans son coin, très réservé, pas bavard du tout, témoigne Victor Petit, qui a partagé le vestiaire avec Cissé en réserve à Rennes lors de la saison 2022-2023. Une fois que tu as un peu compris comment il fonctionne, c’est une crème. Tu peux grave te marrer avec lui, il vanne, il rigole. Ce n’est pas possible de ne pas s’entendre avec lui. » Le jeune homme discret a besoin de se sentir en confiance, confirment ceux qui le connaissent. «  On doit être quatre très sociables dans la famille, ils sont deux plus fermés, comme Djaoui. Il doit connaître les gens, mais il est appréciable hein, pas chiant à vivre, confirme Wenday. Il n’a rien à voir avec l’image qu’on peut se faire de lui, les gens ne le reconnaissent pas quand il change son comportement. Il peut clasher, vanner, il est super drôle ! »

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Pierre-Emmanuel Bourdeau parle tout de même d’une « personnalité à part de ce qu’on peut rencontrer chez les jeunes, donc c’est un mode de communication un peu différent. S’il ne parle pas beaucoup, il a toujours des petites répliques et son côté atypique le rend justement attachant. » Une discrétion au quotidien, le besoin de « repères » qui poussera le SRFC à ne pas le prêter, et surtout la peur de s’exprimer devant un groupe, comme s’il était « tétanisé ». Bourdeau, toujours : « Quand il y avait des anniversaires, les joueurs devaient dire un petit mot dans le vestiaire. Djaoui a toujours refusé de se lever. Ça montre cette personnalité introvertie, mais à côté de ça, il est capable d’avoir de vraies discussions ou des réflexions très pertinentes sur le jeu, il a une vraie intelligence là-dessus, quelque chose d’inné. Il peut aussi prendre beaucoup d’initiatives sur le terrain et faire preuve de caractère. »

Ce qu’il a montré cette saison à Rennes, où on pouvait le voir faire des grands gestes ou replacer des joueurs bien plus expérimentés. « Sur le terrain, il change de comportement, appuie Wenday. Son esprit de gagneur prend le dessus sur sa timidité. Il est prêt à entrer en contact avec tout le monde, même si ce n’est pas la même langue, il veut se faire comprendre. » Victor Petit a aussi connu ce Djaoui : « Il peut hausser la voix, commenter un peu les actions sur le moment. »

« Si ça marche, tant mieux, sinon ce n’est pas grave  »

Djaoui Cissé parle au moins avec les pieds et partage ses nouvelles aventures avec la famille, comme lorsqu’il a raconté cette drôle de sensation de la pression du stade lors des dix premières minutes au Vélodrome ou à Saint-Étienne. Cet amateur de manga « injouable à FIFA  » a dû vaincre sa crainte des micros, en Slovaquie, après avoir été élu deux fois homme du match. Il a fait court, il l’a joué limpide, se retrouvant dans un fou rire avec des coéquipiers volontiers taquins. « Sur ses célébrations, je pense qu’il peut encore s’améliorer. Mais sinon, il me fait penser un peu à Patrick Vieira », osait Ismaël Doukouré, comme rapporté par L’Équipe. Ils pourraient être alignés ensemble dans l’entrejeu, ce mercredi soir, en demi-finales contre l’Allemagne.

Ce tourbillon inattendu et la confiance accordée par Beye avaient conduit à sa prolongation jusqu’en 2029, le 1er avril dernier, au Stade rennais, où le directeur sportif Loïc Désiré le déclarait intransférable ce mardi, même si le club breton n’a pas encore été approché pour sa nouvelle coqueluche. Il ne devrait pas être question de bouger pour celui qui est encore un novice. Il va falloir confirmer, gagner en régularité et livrer une première saison pleine. Cissé avait connu un creux au printemps, comme lors du naufrage collectif à Lyon, à un moment où « ça allait trop bien, parfois il faut faire redescendre sur Terre et il y a eu une petite remise en question », pose Wenday avec le sourire. Lui comme les membres de la famille aiment lui faire un petit retour après chaque match, un peu « comme des supporters ».

Cette éternelle question, maintenant : comment rester indemne dans la machine à laver du foot ? Comment ne pas péter un câble quand on a 21 ans et que tout change ? Sa fratrie vit toujours en région parisienne, « à 10-20 minutes de chez les parents » et ils bossent chacun dans leurs domaines (La Poste, chauffeur de bus, responsable de transports, éducateur dans un club de foot, etc.) « On a une vie de famille normale, ça ne change rien. C’est vrai qu’à cet âge-là, il y a des sommes d’argent qui commencent à rentrer et ça peut faire peur, mais il ne perd pas la tête. On essaie de le réguler pour qu’il garde la valeur de l’argent tout en étant conscient qu’il gagne bien sa vie, enchaîne Wenday. On a toujours eu la même philosophie dans la famille : si ça marche tant mieux, sinon ce n’est pas grave, c’est la vie. Il n’y avait pas de pression pour qu’il devienne footballeur. Le principal, c’est qu’il soit heureux. Si demain, il me dit “je vais au fin fond de la Finlande” et qu’il est heureux, bah go ! Tant qu’il est tranquille dans sa tête, nous aussi. » À moins d’un nouveau concours de circonstances improbable, Djaoui Cissé a d’autres choses à accomplir avant de poser ses valises à Helsinki.

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Par Clément Gavard

Tous propos recueillis par CG, sauf mentions

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